mercredi 13 mai 2009

Attente au jardin



Il existe et je l’ai vu
Un coin de terre vivant de hautes herbes
Comme un ailleurs, un autrefois visité.
Un sentier à la largeur de mes deux pieds
Une plaque de liège en travers
S’asseoir.
Les grappes de graines en faisceaux verts balayent le ciel
Courent les nuages sous leur pinceau ,
tu sais?
Au-dessus de ma tête
L’odeur du frais de l’herbe

Les doigts fouillent la terre, humide
La terre colle aux doigts
La terre glisse sous les ongles,
Juste là où il ne faut pas,
ça fait sale,
on dit
Et je sais que je ne les brosserai pas
En tout cas pas tout de suite, j’attendrai
Je cacherai mes mains dans mes poches
J’en respirerai encore ce soir le parfum
Comme le sel de mer à la nuit des plages,
Je dis.
Le regard flotte, un peu là-haut
Deux fuseaux noirs, des martinets,
Non, deux ventres blancs et la joie des premières hirondelles

Une autre plaque de liège, en long
La largeur de deux autres pieds
Deux autres mains, rugueuses,
Un fond de bouteille coupé
Des fils dans la terre, encore emprisonnés
Deux feuilles minuscules au bout de chaque fil
Tomates ananas, Cœurs de bœuf, noires de Crimée, et…
j’ai oublié

Les deux autres mains séparent fil à fil , précision et douceur
Le temps ne se mesure plus, il coule à l’eau du ruisseau
Un bâton pour ouvrir un passage dans un pot plus grand
Le vent d’Espagne souffle chaud, il pleuvra demain
Les pots préparés s'alignent sagement
Quelques gouttes d’eau, ne pas déplacer les racines
Retour à la nursery.
Pour la pleine terre,
Attendre encore un peu

Je ferme les yeux.
J’ai la mémoire à odeur de feuilles de tomates froissées
Le jus coule et éclabousse les joues au croquer franc
Dents pleines dans la chair rouge et tiédie du soleil d’été
Attendre encore un peu


Les sillons, dans le jardin, ne pas écraser
Les pommes de terre déplient leurs pousses tendres
Balancement de grappes jaunes , colza aérien?
Non, les graines à venir pour les navets jaunes
Si tendres l’hiver, avec les carottes et les petits poireaux
Je me pose sur le bord du bassin, en forme d’escargot,
Ou de sein retourné quand il est vide,
Tu dis
Une planche de liège flotte, bouée pour écureuils imprudents
Je cueille quelques feuilles de menthe verte,
Parfum au thé vert du matin
Et la menthe coq , je confonds avec l’oseille

Je retourne quelques fraises, leur posé au sol est encore clair
Attendre encore un peu
Les petits pois sucrent sous la peau, croquer quelques grains
Attendre encore un peu
Le cerisier tend quelques fruits verts au-dessus des iris
Attendre encore un peu

Un pont de roseaux liés de rouge, tuteurs
Pour les haricots roses et blancs, grimpants,
Le parfum iris des iris violets,
La senteur vanille des iris jaunes
Le vent d’Espagne caresse le ciel de nuages pleine mer
Le temps coule encore
Tu parles
Je parle
Le chien dort sous le noyer
Une grosse branche croule au ras du sol
à la Saint-jean, avec 10 noix vertes et du vin de Lesquerde,
Du vin de noix,
Attendre encore un peu

Le temps s’immobilise, je me souviens…

Je retrouve le regard de mon grand-père,
Enchaîné à la scie hurlante de l’atelier
Le vert de ses yeux délavé par les ans
Sa présence calme à la terre
Cette longue patience en attente
Il porte sur lui l’odeur du bois,
Une odeur profonde et rude.
Au temps de la chasse, adossé au vieux chêne
Le fusil posé à terre, toujours inutile,
Prétexte
Dénouant la dernière écorce du carcan
Il s’ouvre à la forêt .
Les yeux perdus dans la haute futaie
Deux mains, rugueuses, sur les genoux
16h.
Il ouvre sa gibecière, la bouteille de muscat
De l’or au fond d’un verre

J’y trempe le bout de ma croûte de pain
J’ai dans la bouche le sucre des souvenirs
Au temps présent