mercredi 29 avril 2009

Les mauvaises herbes


Abandonnant jardins et champs
aux plantes domestiquées et sélectionnées,
détruites aux désherbants
pour l'utile nourricier,
elles enjambent les fossés
franchissent les talus
prennent d'assaut les friches industrielles.
Ces indociles d'un monde aseptisé
de jardins publics ou pavillonnaires
en oubli de nature où tout pousse au carré
éclatent de couleurs non policées
aux graphismes intacts de jets désordonnés

Ce sont les herbes folles
couchées sous la toile en pique-nique,
foulées au cœur à corps des amoureux en maraude,
adoucissant la sieste de leur moelleux
dans la chaleur des après-midi d'été,
diffusant des senteurs odorantes,
foulées sous un pied en promenade
témoins des jeux de ballon des marmots
évadés pour un temps des cités verticales

Use et abuse, n'hésite pas
elles repoussent sans cesse,
les mauvaises herbes,
A la première pluie venue
repoussant le gravier,
verdissant les sillons aux pavés des rues
les pousses tendres glissent
en catimini au long des allées du square,
s'infiltrent dans le garde-à-vous des plantes potagères
brisent l'ordre établi
ignorent les clôtures
cassent le rectiligne
obéissent à leur loi pulsion de vie.
La terre la plus dure ne résiste pas.
Oiseaux et insectes complices
Les sèment à tire-d'ailes jusqu'à nos pots de fleurs

La main de l'homme sans regrets ni répit,
Arrache, bêche, sarcle, ratisse
Mais c'est insuffisant et toujours à reprendre
La tête de l'homme invente ces pulvérisations magiques
Désherbe intelligent jusqu'au particulier
Vaporise en ligne ses tue-herbes sélectifs
Sélectionne les meilleurs produits pour jardin propre
Trafique aux hormones de croissance
épuisant la plante la forçant à grandir
pour finir épuisée et mourir déformée

La terre se révolte
Les abeilles s'affolent
Et la source tarit
Les rivières oublient les fils d'argent
De la danse des gougeons et des ablettes
La caresse des libellules n'irise plus la surface des lacs
La mer s'offre aux méduses et aux algues toxiques
Et l'homme crève de sa démesure
Galopade effrénée du toujours plus
Du toujours plus vite

Son œil accroche encore parfois sentimental
le rouge du coquelicot
au bitume de l'autoroute sur l'aller des vacances
Jette un regard ému à l'enfants appliqué au bouquet
pâquerettes, printemps de son immeuble
La marguerite trouve encore grâce quand
je t'aime
Un peu , beaucoup, à la folie,
Plus du tout

Aujourd'hui, si tu franchis le pas hors des sentiers battus
Coule-toi modeste au ras des pâquerettes
Invente d'autres yeux
Pars à la découverte

Le soleil danse la marbrure des verts
Les fleurs du prunier sauvage nappent de frais
la raideur des fils électriques
La parcelle de ciel par la fraîcheur d'un bleuet
éclate dans la chaleur orage de bruyantes voisines
Dans la transparence solaire, un coquelicot en nostalgie
balance sous la brise son unique pétale
Les crassulas s'arrondissent de vert tendre et rosé
pour séduire une pierre qui ne résiste plus
Le chiendent s'élance et déchire le ciel
Un papillon blanc de ses trois pétales prend refuge
sous la voûte sombre et secrète du fouillis des herbes
Un éphémère géant satellise des graines parapluie
Et quelques piqûres mauves d'œillets sauvages
jouissent à contre-jour du halo solaire

Et si tu sais attendre, tu verras le ciel parsemé d'herbes folles,
S'approfondir encore et encore
Pour s'adoucir à la ouate blanche
du détour d'un nuage